Camille Fallet
License Color Photo Studio
La qualité d’une œuvre documentaire tient à l’expression de l’expérience qui la fonde, au montage et à l’écriture qui la rendent sensible. La photographie, pour Camille Fallet, n’a d’intérêt qu’à travers son édition et, pour reprendre les termes de Walker Evans, son élaboration en « documentaire lyrique ».
En 2016 à la Straat Galerie à Marseille, Camille Fallet a recréé une maquette à l’échelle 1/2 d’un magasin de portraits photographiques à cinq cents, tirée d’une image de Walker Evans : License Photo Studio, New York, 1934. C’est en étudiant très précisément l’image d’Evans qu’il a conçu, non sans difficulté et incertitude, cette maquette. De la même manière, le travail de tireur qu’exerça Camille Fallet consiste à essayer de traduire une situation qu’il n’a pas vécue ; il doit la fantasmer, en faire sa propre expérience. Les formes ainsi produites réactivent souvent des modèles photographiques ou des œuvres d’artistes reconnus, qui se superposent et s’enchevêtrent. Ainsi, la maquette reproduisant la photographie d’Evans s’avèrait également fonctionner comme une reprise d’Étant donnés (1946-1966) de Marcel Duchamp.
En 2018, l’artiste a remonté cette maquette au centre d’art du Point du Jour à Cherbourg pour la photographier telle que Walker Evans avait photographié le magasin de portraits photographiques en 1934. L’image ainsi produite fait jouer différentes équivalences et transpositions : l’image noir et blanc d’un magasin reconstruit en volume et en couleurs ; la maquette d’un studio de prise de vue photographiée comme en studio ; un studio qui est le lieu dans lequel la photographie est exposée…
Pour Camille Fallet, si Walker Evans est la figure de la modernité en photographie, c’est bien plus par la posture « anti-art » qu’il affirme, et les questions qu’elle suscite, que par sa valeur désormais iconique. En en faisant son modèle, Camille Fallet cherche d’abord à ouvrir et à déconstruire la photographie comme reproduction, à questionner sa relation au volume et à la perspective, son émancipation possible de la question de la vraisemblance pour poser celle du lyrisme en photographie. Il s’agit ici de la possibilité d’exercer son propre regard en s’appropriant une histoire et, pourquoi pas, en la réinventant.
Cette œuvre, récemment acquise par le Fonds régionale d’art contemporain de Provence-Alpes-Côte d’Azur est présentée ici dans une nouvelle version.