Camille Fallet

Bordeaux sans légende - Anthologie de l'ordinaire, Le 308 - Maison de l’Architecture d’Aquitaine, Bordeaux 2017

Ce texte tiré du facsimile d'un email factice entre les commanditaires de l'ouvrage et dont le véritable auteur souhaite resté anonyme fut montré durant l'exposition sous la forme d'une affiche murale à la manière d'un texte introductif


Chère Michèle,

Je regarde à l’instant l’Anthologie de l’ordinaire, le livre de Camille Fallet « Bordeaux sans légende ».

Voilà un sous-titre on ne peut plus explicite.

Vous le savez, la mission photographique que la Métropole a commanditée à Camille Fallet est née de notre désir de montrer le « Grand Bordeaux » ordinaire : ces paysages que nous avons l’habitude de voir mais plus rarement de regarder.

J’ai feuilleté longuement la maquette et je constate le fossé qui s’est creusé entre les réalités du Grand Bordeaux où nous vivons et les images diffusées sur notre ville aux touristes et aux passagers du TGV toujours plus nombreux et qui ne mettront sans doute jamais les pieds à Saint-Médard-en-Jalles ou à Saint-Vincent-de-Paul…

Le résultat d’un siècle de mouvement et d’accroissement démographique, de développement et d’étalement urbain d’une ampleur jamais vue dans l’histoire de notre cité, pourtant millénaire, nous oblige à nous questionner, ou du moins, à regarder les choses différemment. (J’en profite d’ailleurs pour vous faire part de mon grand intérêt pour l’article d’Alexandre Field et Baptiste Lanaspeze paru dans Libération que vous m’avez fait passer !).

L’explosion automobile qui a bouleversé notre rapport à la ville et au paysage est parfaitement mise en images par Camille Fallet. Si nous avons en commun de vivre dans une métropole, d’en avoir l’usage, nous sommes pourtant nombreux à n’en connaître que de minuscules secteurs. Nous parcourons chaque jour des dizaines de kilomètres, mais savons-nous réellement ce qui se trouve entre notre lieu de résidence au Haillan et notre lieu de travail à Artigues ? Nous avons visiblement construit, dans des proportions inédites, des routes et des ronds-points, des lotissements et des zones commerciales qui ressemblent parfois à des espaces de vie débrayés du corps humain.

Notre Métropole est toujours plus vaste et toujours plus complexe. Et à ce titre, la dynamique métropolitaine et l’enthousiasme du projet ne doivent pas nous faire perdre de vue l’humilité qui vient du terrain : construire un projet métropolitain sans se donner le temps et la peine d’une exploration approfondie, partagée avec la société, risquerait fort d’être un gâchis monumental, un rendez-vous manqué...

Aujourd’hui Bordeaux Métropole a deux ans d’existence. Notre intention de consacrer notre biennale d’architecture au(x) paysage(s), doit symboliser notre volonté d’accompagner l’émergence d’une « culture métropolitaine », une culture commune reposant sur la connaissance de notre territoire.

Ainsi, je vous l’accorde, l’Anthologie construite par Camille Fallet, est plus un point de départ, une série de questions, qu’une fin en soi. Son expérience de notre ville nous renvoie a (à) notre propre expérience de nos paysages, de nos espaces : l’expérience de leurs échelles, de la manière dont ils s’agencent et se juxtaposent, dont ils se construisent, s’aménagent, se produisent ou sont « produits »…

Les panoramas de la Métropole documentent l’épaisseur du temps, la sédimentation par couches, les nappes et les strates d’usages, d’administrations du territoire. Ils attestent que le paysage de notre métropole est aujourd’hui bien plus qu’un décor, un palimpseste, sur lequel nous continuons d’écrire, et pas toujours brillamment.

À travers les photographies du livre, nous entrevoyons les objets récurrents qui ornent notre paysage métropolitain : immeubles, ruines, monuments, maisons, pavillons, grands ensembles, béton, crépis, portails, grilles, murs, mobilier urbain, signalétique, éclairage public, réseaux, enseignes, publicité, voitures, macadam, trottoirs, glissières, plantes… Cela nous révèle un paysage fait de repères, d’habitudes, de signes, qui ne se posent que rarement en termes esthétiques, mais qui définissent pourtant le socle de notre culture.

Aussi,  aujourd’hui, savez-vous ce que j’ai envie de vous proposer ?

Que le temps d’AGORA, ou encore du cycle COMMUN(s) (dont m’ont parlé récemment les représentants de la Maison de l’Architecture et de la Fédération Française du Paysage), nous arrêtions d’administrer, de construire, d’aménager… Et que nous prenions le temps de réfléchir et de discuter.

Commençons par regarder ces images ensemble, par les partager. Allons-en faire d’autres, allons faire ensemble cette expérience du « dehors ». Observons et racontons nous des histoires, nos histoires, pour apprendre à connaître notre géographie, à déceler les singularités essentielles de notre territoire métropolitain, à repérer ses traits « propres » et ses traits « communs » aux autres métropoles de France, d’Europe et d’ailleurs… du Monde.

Échangeons et discutons de nos expériences. Inventorions les connaissances qui en découle, qu’elles soient savantes ou vernaculaires, en partant de ce que nous avons en commun et que nous partageons tous : l’espace, le paysage. Alors, peut-être, serons-nous à même de construire une culture métropolitaine, une culture commune et cosmopolite. Celle qui nous manque pour pouvoir agir comme il le faudrait. Comprendre la métropole pour mieux… la transformer.

Affectueusement, 

AJ

This text, taken from the facsimile of a dummy email between the book's sponsors, whose real author wishes to remain anonymous, was shown during the exhibition in the form of a wall poster as an introductory text.


Dear Michèle,

I'm just looking at the Anthology of the Ordinary, Camille Fallet's book "Bordeaux sans légende".

The subtitle could not be more explicit.

As you know, the photographic assignment that the Metropole commissioned from Camille Fallet was born out of our desire to show the ordinary 'Greater Bordeaux': those landscapes that we are used to seeing but rarely look at.

I've had a long look at the model, and I can see the gulf that has opened up between the realities of the Greater Bordeaux we live in and the images of our city that are broadcast to the ever-increasing numbers of tourists and TGV passengers who will probably never set foot in Saint-Médard-en-Jalles or Saint-Vincent-de-Paul...

The result of a century of demographic movement and growth, of development and urban sprawl on a scale never seen before in the history of our city, even though it is a thousand years old, forces us to question ourselves, or at least to look at things differently. (Incidentally, I'd like to take this opportunity to tell you how interested I am in the article by Alexandre Field and Baptiste Lanaspeze in Libération that you passed on to me!)

Camille Fallet's images perfectly capture the explosion of the motor car, which has turned our relationship with the city and the landscape on its head. Although we all live in and use a metropolis, many of us know only tiny parts of it. We travel dozens of kilometres every day, but do we really know what lies between our home in Le Haillan and our workplace in Artigues? We've obviously built roads and roundabouts, housing estates and shopping areas on an unprecedented scale, which sometimes resemble living spaces that have been disengaged from the human body.

Our metropolis is growing ever larger and ever more complex. And in this respect, the metropolitan dynamic and the enthusiasm of the project must not make us lose sight of the humility that comes from the ground: building a metropolitan project without taking the time and trouble to explore it in depth, sharing it with society, would run the risk of being a monumental waste, a missed opportunity...

Bordeaux Métropole is now two years old. Our intention to devote our architecture biennial to landscape(s) should symbolise our desire to support the emergence of a "metropolitan culture", a shared culture based on knowledge of our territory.

Granted, the Anthology compiled by Camille Fallet is more a starting point, a series of questions, than an end in itself. Her experience of our city takes us back to (our own) experience of our landscapes, our spaces: experience of their scales, of the way in which they are arranged and juxtaposed, how they are constructed, developed, produced or 'produced'...

The panoramas of the metropolis document the thickness of time, the layered sedimentation, the layers and layers of uses and administrations of the territory. They show that the landscape of our metropolis today is much more than a setting, a palimpsest on which we continue to write, and not always brilliantly.

Through the photographs in this book, we get a glimpse of the recurring objects that adorn our metropolitan landscape: buildings, ruins, monuments, houses, pavilions, housing estates, concrete, renderings, gates, railings, walls, street furniture, signage, public lighting, networks, signs, advertising, cars, tarmac, pavements, railings, plants... They reveal a landscape made up of landmarks, habits and signs that are rarely considered in aesthetic terms, but which nonetheless define the basis of our culture.

So today, do you know what I'd like to propose to you?

That for the duration of AGORA, or even the COMMUN(s) cycle (which representatives of the Maison de l'Architecture and the Fédération Française du Paysage recently told me about), we stop administering, building and developing... And that we take the time to reflect and discuss.

Let's start by looking at these images together, by sharing them. Let's make others, let's experience the "outside" together. Let's observe and tell each other stories, our stories, to learn about our geography, to identify the essential characteristics of our metropolitan area, to pinpoint its "unique" features and those it has in common with other metropolises in France, Europe and elsewhere... in the world.

Let's exchange and discuss our experiences. Let's take stock of the resulting knowledge, whether scholarly or vernacular, based on what we have in common and what we all share: the space, the landscape. Then, perhaps, we will be in a position to build a metropolitan culture, a common, cosmopolitan culture. The kind of culture we need if we are to act as we should. To understand the metropolis so that we can better... transform it.

With affection,

AJ

67 bdx.sans.legende.004..jpg *Bordeaux sans légende - Anthologie de l'ordinaire*, Le 308 - Maison de l’Architecture d’Aquitaine, Bordeaux 2017