Camille Fallet

For Whom The Bell Tolls (Go), Centre Photographique Marseille, Festival Photo Marseille, CNAP, Marseille 2021

For Whom The Bell Tolls (Go)

Pour commencer, il me faut raconter un souvenir. Fraîchement admis dans une école d’art à Londres, j’avais pour obligation de suivre une formation accélérée en anglais. Tous les jours d’un mois de septembre radieux, alors que les étudiants n’étaient pas encore rentrés, je rejoignais à vélo l’école, face à Hyde Park, depuis Brixton Hill où je vivais. La ville défilait sous mes yeux, des quartiers les plus modestes du Sud-Ouest au fastueux South Kensington. À cette époque, j’étais totalement absorbé par le travail de Walker Evans dont je voulais comprendre la construction ; et à Londres j’avais le sentiment très troublant de vivre dans les archétypes architecturaux des bâtiments photographiés par Evans, en compagnie de Lincoln Kirstein, sur la côte est des États-Unis.

Quinze ans plus tard, en résidence à Glasgow, je fus de nouveau happé par cette beauté victorienne. Je retrouvais dans la ville les décors d’une bonne partie de mon imaginaire artistique. Glasgow n’est pas seulement la capitale industrielle de l’Écosse, elle est une des métropoles où est né et s’est développé le capitalisme depuis la fin du XVIIIe siècle. Son architecture célèbre une puissance économique et une volonté de conquête semblables à celles des grands empires dont la Grande-Bretagne s’estimait l’héritière. Les constructions en grès rouges et ocres, qu’on retrouve partout, renforce cette affirmation presque théâtrale d’une unité culturelle, commerciale et politique. Glasgow fut incontestablement une ville magnifique, et les restes de cette splendeur y sont encore bien visibles.

Deux années passèrent, et Glasgow devint peu à peu le décor de mes pensées avant que je retourne la photographier avec un chambre grand format, en noir et blanc. Je voulais construire le portrait d’une ville, qui avait commencé à s’appauvrir avant-guerre, s’était effondré dans les années 1970-1980, mais dont le passé glorieux restait toujours sensible à travers une multitude de signes. Mark Sadler, peintre et poète né à Glasgow, me fit visiter le West End de son enfance en me racontant l’histoire de sa famille. Ses récits in situ produisaient de nouveaux échos avec les images et les informations que j’avais accumulées.

À certains moments, lors de mes journées solitaires de prise de vue, j’avais le sentiment d’halluciner la ville, comme si chaque détail, chaque situation, chaque bâtiment photographiés participaient à la résurrection d’un monde disparu. Tout faisait sens, mon corps n’existait plus, je me déplaçais dans l’histoire, je flottais parmi les spectres de la ville. Extrêmement concentré sur les prises de vue, j’avais le sentiment d’être porté par une longue histoire de la photographie, d’entendre résonner les pas de Thomas Annan, le grand photographe de Glasgow au XIXe siècle, d’Atget et évidemment d’Evans : enregistrer mécaniquement ce qui se présente au regard, fragmenter le réel et projeter sa recomposition sous la forme d’un ensemble, d’une enquête, d’une exposition, d’un livre.

L’épidémie se répandant, je ne pus continuer à fantasmer Glasgow autrement qu’à travers des cartes postales montrant la ville au début du XXe siècle. En collectionnant ces images anciennes avec en tête mes propres photographies, je continuais à voyager dans l’espace et le temps. Mais, lorsque je pus enfin retourner à Glasgow, la ville me sembla bien plus petite que dans mon souvenir. À moins que, ramené à son présent, elle ne me soit apparue au contraire trop vaste et trop complexe pour correspondre aux images que je pouvais désormais produire. J’étais devenu l’opérateur d’un projet qui avait déjà trouvé son propre achèvement.

Quand je regarde maintenant les photographies réunies dans ce exposition, je ne suis plus certain qu’elles racontent seulement l’histoire de Glasgow. Cette ville au passé mythifié, qui s’est effondrée et qu’on dit aujourd’hui renaître a aussi été la projection de ma propre mélancolie. Le désastre produit par le capitalisme mondialisé est un spectacle effroyable qui m’hypnotise, et c’est au cœur de ses ruines industrielles à Glasgow que j’ai finalement choisi de regarder l’herbe pousser.

Films associés à l’exposition : - Histoires nées de la solitude (2009) - 36min - Sylvain Maestraggi - Jamaica Street, Glasgow (1901) BFI - 2min30 - Blight (1996) - 14min - John Smith

« Si vous regardez Glasgow en vue aérienne, elle vous semblera bombardée. Ce qui fut la seconde ville de l’empire britannique, son grand port du métal, de la construction navale et de l’ingénierie ferroviaire, n’est plus aujourd’hui qu’une ruine restaurée à la sauvette. Son dessin date pour l’essentiel de l’époque edwardienne et victorienne, apogée de la révolution industrielle. L’architecture, qui s’y caractérise par la stylisation et l’appropriation des grandes civilisations., orne son commerce, son administration, ses cultes et son habitat. L’uniformité des grès rouges et ocres renforce son effet de décor. Glasgow fut splendide, riche et puissante.  Depuis un siècle elle s’effondre. Ayant perdu presque la moitié de son million d’habitants, elle est dorénavant célèbre pour les 54 ans d’espérance de vie dans les quartiers les plus pauvres de l’East End. Après une première tentative à la fin des années 70 de redessiner sa géographie par le béton et l’automobile, la ville n’a survécu que par l’ablation de quartiers entiers. Les « merchant buildings », les « tenements », tout comme les grandes barres brutalistes ont disparu pour un monde de lotissements périphériques en crépi gris, créé grâce aux révoltes fiscales qui firent voler en éclat le grand Glasgow du Labour. Aujourd’hui la ville se porte un peu mieux. Elle reste une place financière importante où la promotion immobilière rafle les nombreuses friches. Les mêmes forces du capitalisme que l’on retrouve en action ailleurs dans les villes occidentales re-dessinent la Glasgow que nous pouvons voir. Par sa forme, Glasgow en est l’expression la plus pure. Son seul horizon apparait désormais à travers la muséification de ses dernières ruines. J’ai photographié Glasgow principalement à la chambre 4” x 5” en m’attachant à ce que chaque objet et chaque lieu photographiés le soient en tant qu’indices les plus exemplaires et les plus éclatants de son esprit. »

A Man On Govan Road, Glasgow, 2019.

Old buildings in High Street, Glasgow, 1868. Thomas Annan (1829 - 1887) Tirage moderne. Collection privée. Thomas Annan est un photographe Glaswégien considéré comme l’un des pionniers de la photographie documentaire. Il est avant tout connu pour son travail sur les conditions de vie de la classe ouvrière à Glasgow au milieu du 19ème siècle. La ville est déjà partiellement endommagée dans cette vue de High Street. Il est difficile de dire comment ce fragment de ville fait d’immeubles et d’un trottoir était perçu en 1870. Néanmoins, si vous pouviez éprouver la ville aujourd’hui, il vous serait difficile de ne pas ressentir quelque chose du présent dans cette photographie.

View of Johnstown, Pennsylvania, 2016. Cette ville moyenne de la Rustbelt située à la confluence des rivières Stoney Creek et Conemaugh au nord-est des États-Unis est un parfait exemple du déclin industriel occidental. Le nombre de ses habitants s’y est largement effondré, passant de 67.000 habitants en 1920 à moins de 20.000 aujourd’hui. »

Flipped detail of License Color Photo Studio, Le Point du Jour, Cherbourg, 2018. American Re-Photographs.

Column and Pad, New Stobhill Hospital, Belmont Road, Glasgow, 2019. Dans le quartier de Springburn, le vieil hôpital de Stobhill est en déconstruction. Ce garde-corps et cette colonne en bois appartiennent au bâtiment le plus ancien, qui devrait être préservé. La ville de Glasgow contient de nombreuses traces et signes de son glorieux passé. Pour l’instant certains échappent à toute muséification.

Coffee shops under railway bridge, King Street, Glasgow, 2019. Le développement de la ville par le chemin de fer a largement présidé à son dessin actuel, et ce malgré la disparition de ses nombreuses gares. Chaque parcelle inscrite sous les arches des voies ferrées se change en opportunité foncière. Ce lieu possède ‘‘une espèce particulière de poésie silencieuse’’ qui semble avoir traversé le temps.

Footpath on Haghill Road, Glasgow, 2019. Cet ancien quartier ouvrier d’habitations situé dans l’East End est aujourd’hui une friche à l’intérieur de laquelle subsiste une infrastructure routière, ici restreinte au passage des piétons. Ces espaces abandonnés de la ville donnent le même sentiment qu’une clairière ouverte dans une vaste forêt.

Man waiting for a delivery in front of an old entrance along railway bridge, Dubarton Road, Glasgow, 2019. Avec le déclin de Glasgow, la pression foncière qui favorisa l’usage de tous résidus urbains tend à disparaître. Les signes de cette suractivité passée sont parfois à peine décelables.

Ancient public lavatory located in the middle of a commercial area, Gallowgate, Glasgow, 2019. Cette entrée de toilettes publiques en sous-sol date du début du 20ème siècle, elle témoigne d’une ville qui s’étendait alors densément jusqu’à ses franges. Aujourd’hui le quartier de Camalchie est un assemblage de centres commerciaux et d’entrepôts. Il est pensé essentiellement pour l’usage de l’automobile. Une banderole commerciale est suspendue à l’arrière de cette grille propose ce sous-sol comme une ‘’opportunité commerciale à saisir’’.

Old merchant buildings, Sauchiehall Street, Glasgow, 2019. Sauchiehall Street est historiquement l’artère qui liait le centre dense à l’East End en rejoignant le carrefour de Charing Cross. Composée d’immeubles de bureaux, de magasins, de restaurants et de salles de spectacles, elle avait l’apparence d’un catalogue architectural extrêmement hétéroclite. Malgré son déclin, la rue reste aujourd’hui très fréquentée par la population étudiante.

Ca' D'Oro Building, corner of Union Street and Gordon Street, Glasgow, 2019. L’industrie du métal a largement façonné la ville. De nombreux bâtiment commerciaux sont des constructions métalliques. Cet ancien entrepôt de meubles possède une charpente en fonte. Son nom provient d’un restaurant qui se tenait sur le toit et qui a depuis disparu et de son style vénitien. Son aspect fut largement modifié à la fin des années 80 suite à un incendie, même si sa charpente, elle subsiste.

Entrance of a commercial art gallery, 134 Blythswood Street, Glasgow, 2019.

Wood façade of an ancient rear entrance on Mitchell Street now used an emergency exit, Glasgow, 2019. Comme d’autres rues qui entourent la gare centrale, Mitchell Street ne répond pas entièrement au principe d’organisation spatiale sous forme de grille caractéristique de la Merchant City. Cette rue s’apparente plutôt à une lane, sorte de voie de desserte à l’intérieur des îlots. Cela pourrait expliquer la présence de cette façade en bois si particulière. 

Rosy with her friend, Union Street, Glasgow, 2019.

Remnants of a begging day, variety store’s fire exit, Argyle Street, Glasgow, 2019. Glasgow reste durement touchée par les problèmes d’addictions et de pauvretés. La mendicité est bien visible le long d’Argyle Street, rue de consommation populaire qui mène vers Trongate, où le centre ville se connecte à l’East End ouvrier.

Ground view, Trongate, Glasgow, 2019.

Under the Central Station’ railway platforms, Argyle Street, Glasgow, 2019. La puissance industrielle passée de Glasgow s’illustre particulièrement dans l’ingénierie des voies suspendues de Central Station. L’idée de séparation des espaces de circulation dans la ville verticale s’accorde largement à la modernité technique qui dessine le centre de la ville.

Bridge pillars of an ancient railways under the Clyde, Glasgow, 2019. Sur ce pilier de pont d’une ancienne voie ferroviaire est gravé en grec ancien « ΤΑ ΓΑΡ ΔΗ ΜΕΓΑΛΑ ΠΑΝΤΑ ΕΠΙΣΦΑΛΗ ΚΑΙ ΤΟ ΛΕΓΟΜΕΝΟΝ ΤΑ ΚΑΛΑ ΤΩΙ ΟΝΤΙ ΧΑΛΕΠΑ », citation tirée du livre 6 de La République de Platon. En bas, on peut lire une tentative de traduction anglaise: « all greatness stands firm in the storm », qui peut se transposer par « toute splendeur tient ferme dans la tempête ». Néanmoins cela semble créer un contre-sens, car la citation en grec devrait plutôt se traduire par : « car toutes les grandes choses sont précaires et, comme le dit le proverbe, les belles choses sont dures ».

Statue of St George slaying the Dragon at St George’s Cross, Glasgow, 2019. Dissimulée derrière des arbres, sur un parterre coincé entre des rampes d’accès autoroutier et une sortie de métro, se dresse une sculpture de saint Georges terrassant le dragon. Elle était perchée en haut d’un grand bâtiment aujourd’hui détruit. Désormais elle est présentée comme une statue équestre. Elle pourrait être lue comme un monument à l’ancien quartier, démoli par les urbanistes et les politiques lors de l’aménagement de l’autoroute M8 qui encercle pour partie la Merchant City. 

Charles Tennant’s grave in Necropolis, Glasgow, 2019. Charles Tennant est un chimiste et un industriel de la fin du 18ème et du début du 19ème siècle. Il construisit un empire familial autour du blanchissement du coton. Il œuvra également au développement du chemin de fer à Glasgow comme moyen de transport des hommes et des marchandises. »

Highland Light Infantry Memorial, Glasgow, 2019. Face au pont Prince of Wales dans le parc Kelvingrove du West End Glaswégien se dresse ce monument vandalisé par des adolescents. Il rend hommage au régiment d’infanterie légère des Highlands et rappelle ainsi la place particulière qu’eut Glasgow dans le développement de l’Empire Britannique.

Bronze statue of James Watt, George Square, Glasgow, 2019. James Watt, ingénieur écossais du 18ème siècle, travailla à améliorer la machine à vapeur. Il s’accapara également les brevets des inventions d’un de ses employés, en particulier un modèle de locomotive à vapeur. Glasgow recèle de nombreux monuments célébrant des héros nationaux du capitalisme et de la révolution industrielle.

Lamp post and fountain, Dowanhill Park, Glasgow, 2019 Ce lampadaire est au centre d’un Park du West End. Il faisait autrefois usage de fontaine. Il est caractéristique de Glasgow, qui est parsemée d’objets de ce type, souvent offerts par les fonderies pour promouvoir leurs savoir-faire. 

Tenements on Gardner Street, Glasgow, 2019. L’ensemble architectural que forment les tenements de grès rouge du West End Glaswégien est unique. Ce quartier cossu surplombe le Clyde, fleuve qui traverse Glasgow et le long duquel s’étalait une large partie de l’industrie. Ses berges attirent aujourd’hui les promoteurs immobiliers, qui rhabillent la façade de la ville tout en s’en accaparant la vue.

St Andrew's Suspension Bridge, Glasgow, 2019. Cette passerelle suspendue date de la moitié du 19ème siècle. Elle rattachait les quartiers de Calton et Bridgeton, situés au nord-est du Clyde, aux usines de Huchestontown, situé au sud-est. Dans les années 1970, les usines furent remplacées par de grandes barres d’immeubles. »

Footpath under Kirklee Bridge spanning Kelvin Gorge River, Glasgow, 2019. Le pont de Kirklee fut inauguré en 1900. Il est fait de grès rouge et marbre rose. Le pont enjambe la rivière Kelvin de Clouston Street à North Kelvinside. Il a favorisé le développement d’une zone résidentielle à l’ouest de la ville. Le sentier qui longe la rivière Kelvin offre un spectacle de végétation sur plusieurs kilomètres. On mesure ainsi l’écart dans la qualité des espaces de vie qui existe entre le West End et l’East End de Glasgow. »

Fence relic, Victoria Crescent Place, Glasgow, 2019. Les fonderies de Glasgow produisirent une formidable quantité de barrières en fer forgé. Elles sont visibles dans les parcs et dans les arrière-cours. On retrouve aussi leurs traces au pied des tenements dans le West End, où elles séparaient les espaces d’habitation et celui de la rue. La Seconde Guerre Mondiale fut fatale à cette ornementation car la Grande-Bretagne se trouvait en manque de métal pour subvenir à l’effort de guerre. Il n’est pas rare de voir sur des murets les traces de leurs empiètements.

Walmer Crescent Greek Revival tenements, Cessnock subway station, Glasgow, 2019. Selon les principes des villes victoriennes et edwardiennes, Glasgow s’étend sous forme d’ inner cities. Les lignes de train ou de métro qui dessinent la géographie de la ville moderne relient ces quartiers entre eux. Walmer Crescent, avec son style Greek Revival, est un exemple parfait de l’imaginaire et des idéaux d’une certaine modernité qui présidaient à l’édification de nouveaux quartier. 

Empty shop with a large window, High Street, Glasgow, 2019. High Street relie le Glasgow médiéval au Glasgow commercial. Cette longue rue descendante possède encore quelques beaux exemples de tenements au pieds desquels des boutiques tout en profondeur sont éclairées grace à leurs larges et hautes vitrines.

Victoria Road, south ending, Glasgow, 2019. Au sud de la ville, Victoria Road, qui se termine à l’entrée de Queens Park, est une artère extrêmement dynamique et populaire. Elle est au cœur de Govanhill, quartier d’accueil des derniers arrivants, qui subit progressivement les effets de la gentrification.

Glass floor, 70 Victoria Road, Glasgow, 2019. Au sol, de petits carrés de verre forment un tapis rectangulaire devant une vitrine. Il s’agit d’un système d’éclairage pour les réserves en sous-sol. Il est à noter que, malgré la réfection récente du trottoir, cet élément a été préservé. Il serait intéressant de savoir si cela relève d’une décision administrative ou de l’initiative des ouvriers qui ont travaillé à la refection.

Old Lyceum Theatre Cinema, Govan, Glasgow, 2019. Ancien théâtre transformé d’abord en cinéma puis en salle de bingo, ce bâtiment est aujourd’hui déserté. On peut néanmoins observer qu’il est toujours un élément de décor et un point de repère dans le quartier de Govan. 

Old railway bridge on Ford Road, Glasgow, 2019. Cette rue et ce pont détruits produisent l’effet d’un décor ravissant. Les ruines sont une composante incontournable du paysage du West End. Si celles-ci ne sont pas artificielles, le sentiment qu’elles procurent est comparable à celui que l’on éprouve au cœur des Folies Siffait sur les coteaux de la Loire.

Ruchill Hospital’s Tower, Glasgow, 2019.  L’hôpital Ruchill était un centre pour maladies infectieuses. Il fut fermé et vendu à Scottish Enterprise, qui détruisit après controverse l’ensemble des bâtiments classés caractéristiques du Jacobean style. Il ne reste que son château d’eau en brique et grès rouge, qui est aujourd’hui au centre d’un projet immobilier d’ampleur.

Derelict Haghill Primary School, Marwick Street, Glasgow, 2019. Cette école abandonnée résume bien les profondes transformations qu’a subit le quartier de Haghill. Ayant perdu une bonne partie de sa population, un regroupement d’écoles s’est opéré. Si autour de cette ruine restent encore quelques tenements contemporains à sa construction, la plus grande partie du quartier fut rasée.

Oxford Street Building, Oxford Street, Glasgow, 2019. Ce bâtiment des années trente, auquel fut ajouté un étage supérieur en béton, est un ancien entrepôt de draperies qui possède une intéressante corniche d’influence égyptienne. C’est l’un des derniers vestiges du quartier de Laurieston, aujourd’hui à l’agonie, qui mêlait alors entrepôts et bureaux de sociétés marchandes.

Clydesdale Paint and Oil Works Warehouse, Tradeston Street, Glasgow, 2019. Cet entrepôt d’une ancienne usine de peinture est au centre du quartier de Tradeston. Petit à petit les vestiges du Glasgow industriel disparaissent ou se voient réhabilités en luxuary appartements dans le cadre de programmes immobiliers.

Telephone Exchange building, 243 Centre Street, Glasgow, 2019.

G&M Auto Radiator Service building façade, St Marnock Street, Glasgow 2019.  Au nord-est du quartier de Bridgeton l’East End possède une dernière poche industrieuse. Celle-ci se réduit comme peau de chagrin au fur et à mesure que les logiques capitalistes désossent les outils de production de la classe ouvrière. 

Tenement slumb, Saracen Street, Glasgow 2019.  Aujourd’hui très pauvre, le quartier de Possilpark fut autrefois extrêmement dynamique, avec de nombreuses fonderies et fabriques. Il s’avère typique de l’effondrement de Glasgow. Il n’est plus que ruines, friches et logements reconstruits à la fin du 20ème siècle sans aucune attention esthétique. 

Derelict John’s Bar, Tobago Street, Glasgow 2019. Cet ancien bar est situé dans le quartier de Bridgeton, aujourd’hui largement sinistré, comme le sont les quartiers de Calton, Gallowgate, Haghill, etc.

CCTV pylon, Stevenson Street, Glasgow 2019.  Après sa réhabilitation, le quartier de Bridgetown a perdu toutes ses qualités. Les logements ont été reconstruits selon de médiocres standards qui prennent peu en compte l’habitant. Par contre la surveillance de masse n’apparaît pas comme une dépense superflue : dans ces quartiers les caméras pullulent. 

Slide, Braid Square, Glasgow, 2019. Malgré l’utilisation de métal galvanisé, ce toboggan a subi les effets de la corrosion. Il est difficile de le dater. Il s’inscrit dans un espace réaménagé dans les années 70, période pendant laquelle le recours au béton apparaissait comme un signe de progrès social. 

Rangers Halls and shops, Sunny law Street, Glasgow, 2019. Parmi les classes laborieuses, l’antagonisme entre protestants -avec leur culture unioniste et orangiste - et catholiques - dont la présence résulte d’une immigration irlandaise massive pendant les années de la Grande Famine - est caractéristique de Glasgow. La rivalité entre Rangers et Celtic dans le domaine du football en est la principale manifestation.

Jonna Dee’s Nightclub building, Duke Street, Glasgow, 2019. Juché entre les quartiers de Haghill et Gallowgate, cet ancien bar de nuit fait aujourd’hui office d’entrepôt. Ses alentours servent de parking lors des matchs au Celtic Park. C’est un bon exemple de l’économie informelle qui occupe les dents creuses de la ville. 

Old Mecca Cinema (rear view), Hawthorn Street, Glasgow, 2019. La présence de l’ancien Mecca Cinema et son architecture monumentale tranche particulièrement dans la zone d’activité située entre Possilpark et Parkhouse. Glasgow est parsemée d’espaces interstitiels difficilement définissable. Si d’une part ils disloquent la ville, d’autre part ils favorisent les déambulations ainsi que certaines interactions sociales. 

Alex Dunn and David Healy, Glasgow, 2019.

Viewpoint Road, Glasgow, 2019. Ce quartier des années 40 sur les hauteurs de Springburn offre un large panorama sur le quartier de Parkhead et le nord de l’agglomération Glaswégienne. 

Yate Street, Glasgow, 2019. Situé à l’extrémité ouest du quartier de Gallowgate, ce quartier flambant neuf ouvre sur le lointain quartier de Castelmilk et permet ainsi de mesurer toute l’étendue de Glasgow.

Menock Road, Glasgow, 2019.  Avec ses maisons individuelles en série, ce quartier cossu au sud-est de Mount Florida et de Quenn’s Park offre un exemple parfait de l’habitat des classes moyennes, installées à l’écart du centre ville depuis les années 1970. 

Carntynehall Road, Glasgow, 2019.  À Glasgow on retrouve de larges communautés de gens du voyage. On les retrouve ici à l’est de Parkhead. Elles sont présentes aussi sur d’autres sites, installées dans des mobilhomes sur des parcelles souvent murées. 

View of the greater Glasgow from Craignure Road, Glasgow, 2019. Fernhill, au sud-est de la tache urbaine, offre un saisissant point de vue sur la métropole Glaswégienne. On peut apercevoir en arrière-plan le bouchon volcanique de Dumgoyne sur le bord du Campsie Fells, qui est un point de repère bien connu des habitants. 

Water tower behind a row of houses, Porchester Street, Glasgow, 2019. Depuis les années 1970 et la restructuration de l’espace urbain par les infrastructures autoroutières, de nombreuses villes satellites, dont Craigend, furent implantées pour reloger la population des quartiers paupérisés de l’East End. Si les promesses d’une vie meilleure ne purent s’y réaliser, depuis quelques années Craigend semble renaître grâce à la promotion immobilière. Désormais il semble répondre aux standards contemporains : maisons individuelles et centre commerciaux à proximité. 

Visite de Maryhill, Glasgow, 2019. 62 diapositives couleurs, environs 20 minutes

Nous quittons Elin sur Great Western Road. Au sol, devant une vitrine abandonnée, de petits carrés de verre forment un tapis rectangulaire ou encore des cercles qui couvrent une partie du trottoir. Mark m’explique qu’il s’agit d’un système d’éclairage pour les réserves en sous-sol. Rencontré ce matin même, Mark m’a généreusement proposé une balade dans ce qui s’avère être le quartier de son enfance. Pour commencer il me dévoile, dissimulé derrière des arbres, sur un parterre coincé entre des rampes d’accès autoroutier et une sortie de métro, une sculpture de saint Georges terrassant le dragon. Il m’explique qu’elle était perchée en haut d’un grand bâtiment aujourd’hui détruit, et qu’un artiste dont j’ai oublié le nom a largement contribué à la sauvegarde de ces pierres. Ici la ville a été littéralement fracturée. Promu par urbanistes et politiques, l’aménagement de la M8, qui encercle désormais la Merchant City, détruisit le quartier. Les grandes artères se fracassent contre des rampes en béton. En regardant vers l’ouest, la perspective est marquée par les flèches des églises de St Mary, Lansdowne et Kelvinside, vue qui peut encore donner une idée de ce qu’était Glasgow à la fin du 19e. Vers l’est, Great Western Road s’évanouit sous la M8. *Mark m’explique comment, vers 1850, St George Road était une avenue très huppée où se succédaient de grandes demeures luxueuses. Leurs propriétaires quittèrent les lieux peu de temps après. Les tenements et la forte densité de la population ouvrière, deuxième de l’empire britannique, allaient durablement transformer le quartier. Un jour, le grand-père de Mark trouva un chat dans une de ces maisons abandonnées. « The big house » répète Mark avec insistance. De grandes maisons, il n’en reste qu’une à côté de la Woodside Library, la première des sept bibliothèques financées par Andrew Carnegie au début du 20e siècle. Aujourd’hui le quartier n’est plus pour l’essentiel qu’un collage de barres d’immeubles des années 1970-1980. À l’arrière de la bibliothèque, dans un recoin, nous tombons nez à nez avec le Woodside Hall que Mark me propose de le visiter. À la fois salle de bal, de mariage, de sport, d’éducation, de culture, ce genre de « Halls » à usage communautaire est caractéristique de la Grande-Bretagne. Mark me parle d’un autre ballroom important sur Maryhill Road qu’il fréquenta dans son enfance. En repartant Mark me fait remarquer au sol des pavés apparents dans les interstices du goudron. Il me dit qu’il pense beaucoup à ces formes, sorte d’affleurements archéologiques du quartier de son enfance. Soudain, détour dans notre itinéraire : Mark souhaite partager avec moi le « petit secret » qu’il vient de découvrir. Cachée dans l’arrière-cours des tenements (elle présida à leur construction), se dresse la Findlay Memorial Church, église évangéliste dont l’entrée se fait par Clarendon Place. L’intérieur est très sobre avec un système de balcons sous ogives en bois. Mark me dit que la découverte de cette église lui a rappelé que la ville se refait sans cesse sur elle-même. Un peu plus haut sur Maryhill Road, nous nous arrêtons dans un fish and chips tenu par un Turc. Mark s’adresse à lui en turc puis en anglais, lui explique les raisons de notre petite balade et le complimente sur son échoppe. Je découvre alors qu’en plus de parler français, Mark parle aussi l’allemand, l’ourdou et un peu d’arabe. Plus loin, de l’autre côté de la rue, il me désigne une épicerie algérienne. Dans cette boutique exiguë Mark parle directement en français aux propriétaires. La discussion s’engage sur les préparations qu’ils vendent : « Je voudrais acheter de l’agneau. — Vous aimez les merguez ? On en fait cet après midi. — Oui très bien les enfants adorent ça, je repasserai ! » En reprenant notre route, Mark souligne que, sur le bas, Maryhill Road garde un certain dynamisme marchand, ce qu’attestent les nombreux salons de coiffure. Je lui fais remarquer que celui dont nous observons la devanture vend également des robes à paillettes et des téléphones mobiles en plus de proposer des coupes afros. Mark s’y engouffre. Modestement habillé avec de grands miroirs qui démultiplient l’espace, le salon parait très vide malgré son enfilade de fauteuils de coiffure. Mark aborde la question de la concurrence entre coiffeurs sur le boulevard, pour très vite dévier sur le prix des Nokias en vitrine : « J’en ai un pour Berlin mais il m’en faut un pour Glasgow ». Ensuite la discussion dérive vers l’Ouganda, pays d’origine du coiffeur. De nouveau dans la rue, nous nous dirigeons vers une mosquée que Mark a repérée lors d’une de ses balades dans le quartier. À la vue d’un tronçon de cheminée en brique au bord d’un parking de supermarché Lidl, il m’explique que nous traversons une ancienne zone industrielle. Derrière le parking, de drôles de blocs de béton surmontés de grilles galvanisées trônent devant une parcelle laissée vacante, au bout de laquelle se dresse un étonnant mémorial aux neuf victimes de l’explosion de l’usine de plastique Stockline. À gauche, un terrain vague envahi de bouteilles de soda, d’emballages de junk-food, de déchets en plastiques. Quelques mètres plus loin, un ancien atelier transformé en lieu de culte : c’est la mosquée. Mark décide d’y pénétrer et nous rencontrons Shadi, l’imam d’origine égyptienne, qui nous fait visiter le lieu. S’engage une discussion qui porte sur des questions théologiques et métaphysiques. Mark est un peu provocateur face au prosélytisme détendu de notre hôte : il lui rappelle, non sans une certaine espièglerie, que l’imam de la grande mosquée de Glasgow était un marchand de spiritueux. Shadi répond que c’est « so unmikely » car définitivement « haram » ; il dit également qu’à son avis il y a trop d’immigrés dans le quartier (des réfugiés érythréens arrivés ces dernières années, si j’ai bien compris). Mark et Shadi acceptent de poser pour un portrait, mais je rate ma prise de vue ; puis ils se donnent rendez-vous au moment du ramadan, car les enfants de Mark raffolent de la nourriture nord-africaine. Shadi précise qu’il y aura surtout de la nourriture asiatique, car la mosquée est essentiellement fréquentée par des Pakistanais. En partant, la joie de Mark est palpable. St Columba’s RC Church : c’est l’église catholique où ses parents d’origine irlandaise se sont mariés et dont ils continuent d’être paroissiens. Mark y a été baptisé et y a officié comme enfant de chœur. Le grand bâtiment de brique, qui date des années 1940 et a été construit avec les deniers des paroissiens, ressemble à une coque de bateau retournée, me fait remarquer Mark. Personne ne répond quand il frappe à la porte du presbytère (il souhaitait rencontrer les deux prêtres africains qui y officient de nos jours). Alors nous contournons le bâtiment, il tient absolument à me montrer le petit jardin situé à l’arrière et à me raconter une anecdote à son propos ; une famille est en train de travailler à sa restauration. Mark s’éprend de son nouveau public, et tout enjoué se met à raconter cette anecdote qui concerne un irlandais, et que je n’écoute pas vraiment. Je me dirige vers le fond du jardin et là je passe quelques minutes à observer les très belles huisseries des fenêtres du bâtiment, faites d’un bois rouge éclatant de vernis et de métal peint en noir brillant. Je remarque aussi un saint manchot en plâtre peint et tout écaillé qui traine sous une haie.  Je rejoins Mark et la famille, qui nous indique alors qu’il y a une dévote dans le presbytère. Nous sonnons de nouveau à la porte avec insistance. Une femme d’une pâleur spectrale finit par nous ouvrir. Elle nous invite à entrer : dans la pénombre, un large vestibule éclairé au fond par une façade vitrée aboutit à un escalier en béton. La femme nous dit de la suivre à l’étage. En montant les escaliers, Mark lui parle avec gentillesse de ses souvenirs d’enfant de chœur. Nous accédons à une petite pièce : la lumière y est très pure. J’observe les gestes de la femme, qui prépare de très beaux bouquets de lys blancs. Tout cela est glacial comme un sol en béton. Elle nous demande de descendre d’énormes cartons remplis de papiers en bas des escaliers. En récompense, nous sommes invités à visiter l’église. Après une brève visite de la sacristie, où Mark se passait la chasuble, nous rentrons dans l’église par une coursive qui domine la nef. L’architecture austère possède la modestie nue et froide du temple déserté de ses croyants. Il y a quelque chose qui relève du fantastique : en hauteur, des haut-parleurs coffrés affichant des croix découpées dans le bois, tels de heaumes de croisés nous observent – je perçois avec les yeux d’enfant de Mark. En haut d’Hopehill Road, face à son intersection avec Garscube Road, se dresse un double panneau d’affichage installé en chevron, qui présente aux automobilistes, quel que soit leur sens de circulation, deux immenses images publicitaires. Nous empruntons un raidillon dans un sous-bois jonché de détritus pour déboucher sur une promenade piétonne qui longe le Forth and Clyde Canal. J’y suis venu hier et j’ai pu entrapercevoir l’importance qu’eut le canal dans le développement de Glasgow et de ses foundries. Nous entamons une discussion d’ordre général sur l’état de la ville. Je soumets l’idée que la ruine lui confère un aspect romantique et comme hors du temps, mais Mark insiste plutôt sur l’aspect dépressif de tout cela : selon lui, la ville a beaucoup souffert, bien que la situation se soit largement améliorée depuis quelques années. Malgré ses nombreuses pérégrinations dans le monde et sa vie à Berlin, Mark ne peut pas se départir de Glasgow ; il pense que la ville reste un lieu de vie possible pour les artistes : l’immobilier n’y est pas complètement hors de prix et la scène artistique écossaise est relativement dynamique. J’ai la sensation que Mark s’est assombri. Sur la promenade, nous croisons le dookit vert que j’ai photographié ces derniers jours. D’un coup je me rappelle le cygne que j’ai surpris hier en train d’aménager son nid au pied d’un des pontons : il est là, immobile, à couver ses œufs. Cette partie du canal, où les pêcheurs passent leur journée, est très aménagée : pontons et ruines côtoient des immeubles de construction récente aux façades en placage de lames de briques blanches de « standing » nordique, bien lisse, qui ne ressemblent guère à Glasgow – ou alors à celui de demain… À l’angle du stade sur Firhill Road, nous empruntons un petit pont en forme de bosse qui enjambe le canal. Mark m’explique que tout cela a été fortement modifié : le pont et la courbe de la route étaient beaucoup plus abruptes auparavant. C’est sans doute pour faciliter le passage des voitures qu’ils ont été transformés. Firhill Road se termine à l’entrée de Ruchill Park. Nous y entrons et nous dirigeons vers une butte en haut de laquelle se dresse un mat à drapeaux. Arrivés au sommet, la ville se déroule sous nos yeux : on peut voir comment Glasgow niche au fond de la vallée de la Clyde. Sur le versant est du parc, on distingue une grande tour de brique rouge et de grès ocre assez lourdement ornée que j’ai remarquée en fond de certains paysages pendant mes promenades de ces derniers jours. D’abord j’avais pensé à un clocher d’église, mais hier, la voyant d’un peu plus près, j’ai pu observer qu’il n’y avait pas de cloches à son sommet et qu’un long escalier hors d’usage y menait. Mark m’explique qu’il s’agit d’un château d’eau, dernier vestige de l’immense hôpital de Ruchill : sa mère y a travaillé durant des années. La tour est vouée à devenir une curiosité au centre d’un projet immobilier d’ampleur. Nous décidons d’aller boire un thé. Nous passons devant le Café D’Jaconelli, glacier historique du quartier qui rappelle la présence des Italiens et l’influence qu’ils ont eue sur la culture populaire de Glasgow. La déco années 50 suggère une période bien plus vivante du quartier. Arrivés à The Mackintosh Church, dernier vestige de l’ancien quartier de Maryhill, nous nous installons dans un petit café self-service aménagé au fond de l’église pour boire nos thés. Nous parlons de nos vies respectives. Derrière Mark, une peinture de la Glasgow school of art, où il fit ses études : conçue elle aussi par Mackintosh, elle est sans doute le monument le plus célèbre de la ville, mais depuis que je viens à Glasgow, je l’ai toujours vue entourée d’échafaudages. Mark doit aller chercher ses enfants à la sortie de leur école. En redescendant Maryhill Road, Mark se désole de l’architecture : des bâtiments qui imitent les tenements, sans aucune qualité ni saveur. « Ici il y avait un immense cinéma, là un vendeur de glace, des boutiques partout, ici et ici… il faudrait que je prenne une craie et que je dessine au sol chacun de leurs emplacements ! Bon il faut vraiment que j’y aille ! » s’exclame-t-il. Alors que Mark me semble visiblement affecté par la balade, nous nous séparons devant le pan d’un tenement encore debout sur lequel est peint un immense soleil clignant de l’œil. Maintenant seul, je passe devant le ballroom dont Mark m’a parlé plus tôt dans la journée, et qui fut l’un des décors de son enfance. Une fois à l’intérieur, je m’assois : l’espace est immense, des gradins descendent sur une piste en bois vitrifié, des pylônes soutiennent la charpente métallique. La salle m’apparait comme figée dans l’obscurité.

Glasgow in a Row, Glasgow, 2018. 3 films vidéo, environ 5 minutes Glasgow est la ville d’Europe où l’écart d’espérance de vie est le plus grand entre quartiers riches et quartiers pauvres. Plusieurs facteurs semblent en cause (sans pour autant avoir les mêmes conséquences dans des villes comparables comme Manchester) : malnutrition, mauvaises conditions sanitaires, addictions, violences, pénibilité du travail, climat… Le gouvernement écossais a établi des cartes qui montrent les conditions de vie des habitants rue par rue selon un certain nombres de critères (le revenu, l’emploi, la santé, le logement, la mobilité et la criminalité). À partir de ces cartes et de cartes topographiques, j’ai dessiné trois routes qui traversent cette géographie sociale et se rejoignent au centre de Glasgow, sur la place de l’Hôtel-de-Ville où s’affiche en géant : ‘‘People make Glasgow.’’ Mélangeant exploration pédestre, circulation en voiture, enregistrement photographique et vidéographique, ce travail est une tentative d’appréhender la ville par une expérience photographique.

Gone Dookit in Fielden Place, Glasgow, 2019. L’élevage de pigeons est une activité extrêmement populaire dans la culture ouvrière Glaswégienne. On peut apercevoir ces pigeonniers un peu partout dans les faubourgs et les interstices de la ville. J’ai photographié celui-ci la veille de sa destruction avant que des promoteurs immobilier engagent un chantier. Il est exemplaire de ce type de construction vernaculaire, faite de tôles et de bois, le plus souvent peinte en vert ou en noir. 

Dookit in the east of Glenconner Park, Glasgow, 2019.

Dookit in the north of Glenconner Park, Glasgow, 2019.

Three views of Jamaica Bridge looking south, Glasgow, 2019. En cherchant des documents iconographiques sur Glasgow je suis tombé à de nombreuses reprises sur des cartes postales du début du 20ème siècle qui avait pour sujet le pont qui enjambe la Clyde reliant Jamaica Street à Bridge Street. Aujourd’hui ce pont porte le nom de Glasgow Bridge pourtant il semble qu’il ait eu de multiple appellation tel que Broomielaw Bridge, Telford's Bridge et de manière plus populaire Jamaica Bridge. La quasi totalité des photographies sont prises en hauteur et regardent le nord de la ville. Deux points de vue, aujourd’hui disparus, diffèrent dans leurs axes, tantôt situé à la droite du pont et tantôt à sa gauche. À une époque ou la photographie couleur était encore à ses balbutiements, ces cartes postales en grande majorité ont été colorisées à la main. Souvent une même photographie peut être traitée différemment, elle devient alors une vue de nuit ou encore une vue enneigée, conférant ainsi à la ville un aspect merveilleux. Walker Evans aborde le charme de ces cartes postale dans un texte qu’il lu durant sa conférence du 11 mars 1975 à Yale : « Les cartes postales furent produites en abondance vers 1900-1915, et elles satisfont le désir simple de reconnaître et de se glorifier. Rendons grâce à la désuétude pour son admirable valeur ajoutée posthume. » Et commentant l’une d’elle il dit alors : « Pouvez-vous imaginer un rassemblement de choses aussi affreuses qui toutes ensemble provoquent comme par enchantement… Eh bien, je ne dirais pas de la beauté, mais une espèce particulière de poésie silencieuse ? »

Thistles pollinating the wasteland ground, Gray Dunn Biscuit Factory, Kinning Park, Glasgow, 2019.

To begin with, I need to recount a memory. Having just been admitted to an art school in London, I was obliged to take a crash course in English. Every day in a bright September, when the students hadn’t yet gone home, I cycled to the school, opposite Hyde Park, from Brixton Hill, where I lived. The city flashed before my eyes, from the more modest districts of the South West to the sumptuous South Kensington. At the time, I was totally absorbed by the work of Walker Evans, whose construction I wanted to understand; and in London I had the very unsettling feeling that I was living in the architectural archetypes of the buildings photographed by Evans, in the company of Lincoln Kirstein, on the east coast of the United States.

Fifteen years later, when I took up residence in Glasgow, I was once again caught up in its Victorian beauty. The city provided the backdrop for much of my artistic imagination. Glasgow is not only the industrial capital of Scotland, it is also one of the metropolises where capitalism has been born and developed since the end of the eighteenth century. Its architecture celebrates an economic power and a will to conquer similar to that of the great empires to which Great Britain considered itself heir. The red and ochre sandstone buildings found everywhere reinforce this almost theatrical affirmation of cultural, commercial and political unity. Glasgow was undoubtedly a magnificent city, and the remains of that splendour are still clearly visible.

Two years passed, and Glasgow gradually became the backdrop for my thoughts before I returned to photograph it with a large-format black and white camera. I wanted to build a portrait of a city that had started to become impoverished before the war, and had collapsed in the 1970s and 1980s, but whose glorious past was still evident in a multitude of signs. Mark Sadler, a Glasgow-born painter and poet, took me on a tour of his childhood West End, telling me the story of his family. His stories in situ produced new echoes with the images and information I had accumulated.

At times, during my solitary days of shooting, I had the feeling that I was hallucinating the city, as if every detail, every situation, every building photographed were part of the resurrection of a vanished world. Everything made sense, my body no longer existed, I was moving through history, floating among the spectres of the city. Extremely concentrated on the shots, I had the feeling of being carried along by a long history of photography, of hearing the footsteps of Thomas Annan, the great photographer of Glasgow in the 19th century, of Atget and of course of Evans: mechanically recording what is presented to the eye, fragmenting reality and projecting its recomposition in the form of an ensemble, a survey, an exhibition, a book.

As the epidemic spread, I was unable to continue fantasising about Glasgow other than through postcards showing the city in the early twentieth century. By collecting these old images with my own photographs in mind, I continued to travel through time and space. But when I was finally able to return to Glasgow, the city seemed much smaller than I had remembered. Or perhaps, brought back to the present, it seemed too vast and too complex to correspond to the images I could now produce. I had become the operator of a project that had already found its own completion.

When I look at the photographs in this exhibition, I’m no longer sure that they tell the story of Glasgow alone. This city with its mythical past, which collapsed and is now said to be reborn, has also been the projection of my own melancholy. The disaster produced by globalised capitalism is an appalling spectacle that hypnotises me, and it is in the heart of Glasgow’s industrial ruins that I have finally chosen to watch the grass growing.

Films associated with the exhibition : - Histoires nées de la solitude (2009) - 36min - Sylvain Maestraggi - Jamaica Street, Glasgow (1901) BFI - 2min30 - Blight (1996) - 14min - John Smith

Camille Fallet was the guest of honour at the PHOTO MARSEILLE 2020 festival. He presents an extraordinary selection of work that provides distinctive perspectives of Glasgow. This project received support from France’s CNAP national visual arts centre in 2018 as part of the documentary photography program.

“Centre Photographique Marseille 19 June > 25 September 2021 Vernissage on Friday 18 June at 6pm     Camille Fallet has been named the guest of honour for the Photo Marseille 2020 festival.   This exhibition is co-organised by the Photo Marseille festival and the Centre Photographique Marseille, with the support of the Sud Provence Alpes Côte d’Azur Region and France’s CNAP national visual arts centre through its documentary photography program.   This exhibition is also part of the satellite programme of the Rencontres d’Arles photography festival within the framework of the Grand Arles Express initiative.  


  For the tenth edition of the festival, I invited the photographer Camille Fallet to be the guest of honour. Beyond being a recognition of his work, this invitation was also symbolic. In 2011, at the first edition of the festival, Camille was one of the winners of the Prix Maison Blanche award. The jury was impressed by his series London Photographs, The Memorial of Modern City. These photographs formed a thoughtful inventory of both the human and architectural elements of the capital across the English Channel, and the series was presented at the Maison Blanche gallery and at the École des Beaux-Arts de Marseille. For the sixth edition of Photo Marseille, Camille presented Approximation remontée (American re-photographs) at the Straat Galerie, an installation and a reimagination of images from one of the major works of 20th century art: American Photographs by Walker Evans. Three years later, this same installation was acquired by the Frac Provence Alpes Côte d’Azur contemporary art fund and was presented at the Rencontres d’Arles photography festival. In parallel to his artistic production, Camille has curated several exhibitions, such as Notes sur l’asphalte – une Amérique mobile et précaire 1950-1990 at the Pavillon Populaire in Montpellier in 2017. He is also one of the founding members of the L’Inventaire project, which gathers and showcases the geographic survey photos that were taken of the Aix-Marseille metro area in the 1980s.   A decade after the first collaboration, it seemed logical that we should honour this remarkable, prolific, and exacting artist. Camille suggested an exhibition of For Whom the Bell Tolls (Go). This series was produced in Glasgow following two residencies organised by the Centre Photographique Marseille as part of the Nuit de l’Instant 2018 photography programme (which is co-produced by the Institut Français/City of Marseille). These residencies were in partnership with Street Level Photoworks in Glasgow and supported by France’s CNAP national visual arts centre through its documentary photography program. The For Whom the Bell Tolls (Go) exhibition was initially scheduled for the autumn of 2020, but it had to be postponed due to the health crisis. It will now open its doors just before the summer of 2021 at the Centre Photographique Marseille, and this is news that should be truly celebrated.     I would like to thank Camille Fallet for the confidence he has shown in me and Erick Gudimard as we moved ahead with the hosting and co-organisation of his exhibition, and also extend my gratitude to all the partners involved in the production of this event.   — Christophe Asso, director of the Photo Marseille festival There is a fundamentally photographic nature to Glasgow, as there is to Marseille. This is not to say that the city is merely photogenic, but rather, that it carries a weight and a light that makes it fertile ground for those seeking the lyrical and the documentary.   Walking through the streets of Glasgow and Marseille, one is struck by the past and how it has been shredded by the present to create an amalgam where history is integrated into people’s daily lives in such a way that it becomes “invisible”. There are urban forms that seem to perpetually change: those of an industrial sector that is so prevalent but already so outdated, those of an outmoded but glorious urbanism, those of a scattered but insistent modernity. There is also the smell of the sea in both cities, either in the distance or near at hand, carried by an ever-present wind... There are the seagulls, like random passers-by, who seek to feed on the debris of humans, and sometimes end up crossing swords with them. And, there is a common pride in their territory (almost a terroir), a common and occasionally extreme passion for football and music, a common mistrust of the capital city.   In Glasgow, Camile Fallet has acted as a sociologist, geographer, urban poet, historian, writer, documentarian, flâneur, and photographer. Because of his interest in the varied complexities of a territory, he produces artwork with different tones, but it always bears the hallmarks of a document shaped by physical and aesthetic experience.   This exhibition’s creative concept, which has been specially designed for the Centre Photographique Marseille, brings together screens, slides, texts, archives, and more than 60 photographs that will be shown for the first time. It bears witness to an artist’s inquisitive and rigorous examination of a city, its history, its population, its movements, and its spirit.   – Erick Gudimard, director of the Centre Photographique Marseille

The exhibition   The For Whom The Bell Tolls (Go) exhibition at the Centre Photographique Marseille will consist of more than 60 photographs, a slide show, and a video installation created in 2017 as part of a residency organised by Street Level Photoworks in Glasgow and the Centre Photographique Marseille.   Glasgow in Row (Video installation)   “After reading an article in Le Monde diplomatique a few years ago, a unique detail that is specific to this city stuck in my mind: the Glasgow effect. This phenomenon is characterised by a 28-year gap in life expectancy between rich and poor neighbourhoods, with rich people dying at an average age of 82 and poor people at 54. Comparable cities, such as Manchester, do not suffer these same consequences, and a combination of factors seem to be involved: malnutrition, poor sanitary conditions, addictions, violence, harshness of the work, climate, etc.   As a result, my starting point was a question. Is this phenomenon perceptible in the city? How is it characterised within the spatial character of Glasgow? When I arrived, I discovered that in 2016, the Scottish government had published maps showing the incomes of residents in a street-by-street format, so that the structural problems of Scotland were more visible. Using these maps along with topographical maps, I drew three routes that traverse these social fractures and that met in the centre of Glasgow, in George Square, where a giant sign on a former university building reads, ‘People Make Glasgow’. My first route started in the northwest (Bearsden) and went through the privileged west end of the city. The second route started in the northeast (Glasgow Fort) and wound through the east end, the home to Glasgow’s chronically poor residents. Finally, the third route started in the south-southeast (Fernhill) and traveled through a more complex urban landscape south of the River Clyde.   Mixing pedestrian exploration, car traffic, photographs, and video recordings, this work is an attempt to dissect the city. The result is a work composed of three superimposed video projections that narrate this photographic experience.”


 “Camille Fallet began by documenting the landscapes of the Aveyron area where he grew up, and he is now working on a series that examines mulleins, the tall plant specimens that are found almost everywhere in the world as the wind and cars scatter their seeds. Like an investigator, Camille Fallet identifies potentially significant elements in a given environment. His artistic method also includes a search for previous images, ones that resonate within a personal imagination. In this associative visual memory, the notion of cutting, in the double sense of extracting and editing, holds an essential place. It is a method that can be traced back to the cartoons, science fiction movies, and artists’ books that shaped Camille Fallet’s early perspectives. In pursuit of this vision, he chose a common “subject”, one that is both well-defined and ever-expanding. In London, Glasgow, the Greater Paris area, or the Bordeaux urban community, he has focused on “modern” architecture, the intermediate spaces and the multiple modes of circulation that constitute urban territories. On the one hand, it is a matter of serial recording: listing typologies, treating an ensemble from different viewpoints. On the other hand, it involves an angle of approach, generally from the periphery, where unexpected details and vantage points emerge. The photographs are then edited – assembled in space, projected, laid out. These forms often evoke photographic motifs or the work of well-known artists. For Camille Fallet, this is not a postmodern attitude (there is neither a truth nor an original, only a simulacrum and a copy), but rather the possibility of exercising one’s own vision by appropriating a story and, why not, by reinventing it. Somewhere between reprise and repositioning, his work opens up a critical understanding of current urbanization and can inform initiatives to transform it.”   — David Benassayag  ”

57 /pages/01.expositions/74.for-whom-the-bell-tolls-go/04.-dsc0069.jpg *For Whom The Bell Tolls (Go)*, Centre Photographique Marseille, Festival Photo Marseille, CNAP, Marseille 2021